mercredi 10 septembre 2008

Un film-poème: avec Bernard Vargaftig


Dans Les Jardins de mon père,
film de Valérie Minetto, écrit par Cécile Vargaftig.
Bernard Vargaftig, L’Aveu même d’être là, le livre du film,
préface de Pascal Maillard.
Coffret livre-DVD, Au Diable Vauvert/TS productions/images plus.

L’avertissement du livre du film pose une question qui semble innerver tout le film : « Peut-on vivre sans poésie ? » De fait ce que montre le film de Valérie Minetto et Cécile Vargaftig est bien la réponse à la forme de vie qu’est le poème-Vargaftig, une réponse en images et en mouvements de caméras comme de voix (je pense aux lectures des poèmes en off ou en prise directe par Bernard Vargaftig) et aussi en dialogue et entretien entre Cécile et Bernard Vargaftig autour de l’œuvre et du parcours du poète. Des relations, non des « traductions » en images, entre des paysages, des souvenirs et événements vécus et les poèmes constituent la trame du film qui est aussi une recherche et un questionnement de la vie au fil de l’oeuvre. En préambule, au commencement du film Cécile Vargaftig précise deux orientations : « un film qui partirait à la recherche de ce que j’ai reçu pour le transmettre aux autres, un film qui permettrait à mon père de voir les images qu’il suscite. » Ces images extraites du Jardin de mon père.
Les poèmes de Vargaftig, par la force de leur énonciation, portent des visions, d’enfance, de paysages, d’émotions, de mémoire : peut-être la caméra, dans son mouvement, en filmant des paysages de ciels, d’arbres, de rivières, d’oiseaux, de lumières et de pierres, de rues de Limoges - le « 60 bis rue Montmailler » (extrait d’Un même silence, lu dans le film et repris p.81-86 du livre) où le poète a vécu pendant son enfance et l’occupation allemande - prend-elle en compte ce vertige qui est le mouvement du poème et y répond-elle. Le commencement est fort où le ciel et les oiseaux accompagnent et poursuivent la lecture d’un poème d’Eclat & meute (1977), avec notamment « (l’ordinaire / désir de vivre) » puis de Trembler comme le souffle tremble (2005) comprenant en son centre « Saisi par l’immensité des phrases // Dispersion que les oiseaux suivent » et, à la chute, « Sans savoir pourquoi le paysage / Rend le désespoir si désert ». Alors le film est emporté, comme l’écrit Vargaftig (p.48 du livre) : « Comme si la caméra allait s’envoler quand elle filme les oiseaux. » Oui les oiseaux du poème, et son chant…

Les parcours dans l’œuvre sont incessants, non qu’ils l’expliquent, mais qu’ils la recherchent, au travers de lieux retrouvés (mais la mémoire a changé, au travers du poème comme de la vie), de souvenirs, de paroles, d’analyses, sur les événements de la seconde guerre, l’enfance en zone libre pour fuir la traque des Juifs, la peur, les amitiés avec Aragon, Regnault, les lectures d’Hugo, Reverdy, Jouve, la manière d’écrire un poème, un livre de poèmes, les souvenirs de famille… Ceci avec quoi les poèmes ont été écrits, les poèmes portant la vie, cette vie accompagnant cette vie dans la vie qu’est le poème. Alors peut-on vivre sans poésie ? Du moins le poème, qui ne soucie pas d’être de la littérature ou de la poésie, mais qui est une éthique, un travail permanent, fait un « métier de poète » comme « métier de vivre » pour citer Pavese. Et dans la bouche de Bernard Vargaftig écrire est « un journal quotidien » résumé par ce vers d’Eclat & meute, « L’aveu même d’être là » et cette formule : « j’écris ce qu’est vivre, comment vivre aujourd’hui », jusqu’à « comment tenir debout ». Aujourd’hui avec hier, et comme l’enfance « est devant » quand le poème en trace un à-venir, dans sa voix et par les rencontres et lectures qu’il suscite.

Tout dans ce film et ce livre est généreux : générosité du poète qui nous invite chez lui et invente une lecture de son œuvre, de Cécile Vargaftig qui a écrit le film et conduit les entretiens, de Valérie Minetto qui invente des images avec les visions des poèmes et filme à nu une relation, une parole partagée. De fait le livre (contenant également le livre Eclat & meute intégralement, livre du coup de nouveau disponible) n’est pas une anthologie, mais, reprenant dans l’ordre les poèmes dits dans le film, une trace et un tracé dans l’œuvre ; il en restitue la recherche et le parcours ; il permet alors, à nu aussi, des points de vue à travers l’œuvre, la traversée des livres qui traversent et constituent l’œuvre. De tout ce travail l’essai de Pascal Maillard en donne un regard, du film à l’œuvre poétique depuis les premiers livres ; comme il l’écrit « Le voyage commence en sortant de chez soi, en ouvrant simplement une porte. La poésie est opiniâtrement ouvrante chez Bernard Vargaftig. Ni l’ouvreuse, ni l’ouvroir d’une certaine poésie contemporain, mais un ouvrir sans cesse recommencé, comme l’agir infini du langage. » (p.17) Oui une poésie, sans laquelle une fois qu’elle est découverte on ne peut plus vivre tant elle nous ouvre au vivre-langage qu’est le poème, loin des témoignages tout faits et attendus du contemporain qui déclarent ce qu’ils savent que l’histoire attend qu’ils disent.

Laurent Mourey

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