dimanche 14 février 2010

Tissus mis par terre et dans le vent, de James Sacré




Les poèmes des six sections qui composent Tissus mis par terre et dans le vent sont autant de signes de vie et de voix, suscités par les photographies de Bernard Abadie, qui font « signe à la fois du fond de l’enfance et du fonds de voyages vécus » (7). Poèmes-gestes-réponses donc, qui partent d’une seule énergie vers à la fois l’aventure du donné à voir et l’étonnement qu’il y ait le langage pour mettre un regard face au regard. Car, oui, sont indémêlables, comme les fils noués des tissus entrevus dans le monde, et qui le transforment par leur présence tout en le cachant par endroits, à tel point qu’il y a comme un appel au soulèvement, les questions que le poème fait naître et les poèmes dont elles sont la cohérence :


Le poème est-il aussi dans la question ? (56)

Mais :


Le monde, qu’il s’habille ou se dévêt, toujours
Se montre nu (13)

Et :



Gestes qu’on a peut-être recommencés
Pour aller d’un brouillon malmené à des mots bien rangés
Sur du papier. (35)

Entre ce qui est et ce qui vient, par ce qui est, vers ce qui vient, le regard et la parole donnent toute sa présence au temps de la vie, mémoire et surprise de l’imprévisible. Les photographies, « discours de gestes muets » (49), motifs pour le poète surimposés au motif, exhortent à une compréhension du voyage du voyage, du poème du poème : elles « ne sont ni par terre / Ni jetées dans le vent, au mieux / Les voilà mises là-devant » (53) – et les espaces « dans le vent », « là-devant », font rimer leurs déplacements, leurs désassignations dans « Le poème à côté ». Tout se décentre dès lors que le regard a abstrait un peu du monde et le transporte ailleurs. Et le poème (« Je sais bien : le même poème recommencé » - 56) fait mine d’arpenter toujours les mêmes chemins. Pourtant, il avance, et il est l’étonnement même d’’être « Comme une question […] / En guise d’affirmation » (57). Il va, « jusqu’à son dernier vers, lequel / Ne résout ni ne propose rien ».
C’est sa force. Force de non-proposition, de non-solution. Qu’il ne faudrait confondre ni avec un retrait méprisant, ni avec une démission désespérée. Cette force en est tout le contraire. Le « j’en sais rien de la poésie » (60) de James Sacré dit une éthique clairement opposée (bien que même ici ce soit encore une question) à la course à l’étiquette :


Est-ce que je voudrais pas
Savoir dire où je veux aller, ce que je refuse, et porter bien en vue de grands problèmes d’existence et d’écriture ?
Ou m’en moquer de ces tourments et façons
De m’arranger un paraître ? (60)

C’est justement que le poème fait plus qu’il n’est. Et qu’il n’a pas besoin de s’avouer pour être ce qu’il fait. Puisqu’il est d’abord la fidélité à son inconnu : « L’ignorance et l’énigme au fond de nos savoirs » (64). L’inconnu du poème, ici, consonne avec l’inconnu du monde, dans la banalité même d’une exposition de l’intime :


Tissus mis par terre et dans le vent
Le monde se donne
Et nous échappe
En même temps. (50)


Tissus mis par terre et dans le vent, James Sacré, avec des photographies de Bernard Abadie, Le Castor Astral.




Rappelons, aussi, de James Sacré, "Pauses café sur la route" et "Puis faut s'arrêter pour manger", suivis de "Poétique portative pour des poèmes-relation (avec James Sacré)" par Serge Martin, dans le numéro 3 de Résonance générale.