Dominique Lemaître et Alexis Pelletier, Du silence et de quelques spectres (livre-cd), éditions Clarisse,
2014.
Alexis Pelletier écrit en écoutant, il écoute en désirant et
il désire en pensant avec… la liste
est loin d’être close car toutes ces activités n’en font qu’une dans et par le
poème qui lui-même nous fait écouter, écrire (comme lire) et penser avec. L’adresse dans son poème est directrice :
je veux dire qu’elle est la force qui fait tenir, poursuivre, aller avec. Mais dans ce livre, c’est la musique,
à moins que ce ne soit tel musicien (Dominique Lemaître), tel morceau (Novae…) car c’est toujours à partir
d’expériences que le poème va avec. Mais
ce serait plus compliqué que l’accompagnement, que l’association des arts, que
la relation de termes dont on serait bien assurés : la Poésie, la Musique
– « ça n’existe pas », disait Desnos aux enfants !!! Non !
dès l’entrée de ce nouveau livre qui semblait nous engager dans des comptes
rendus, certes pensifs, d’expériences avec la musique, nous voilà avec « une
voix » qui pose la force de tout le livre : « cette voix est un
lien d’espace ». Et c’est alors toute la force du poème avec : il (ou la voix) « fait
mon corps » et « c’est aussi par elle que je vois / le monde et me
déplace en lui ». Mais ce premier texte écrit d’abord pour (il faudrait ici encore dire avec) Claude Ollier, le voilà accompagné ou plutôt pris dans la
musique de Dominique Lemaître pour s’y voir spectralisé – j’ose ce néologisme
qui me semble bien correspondre à ce que Alexis Pelletier propose :
« les références sont les spectres de nos langages ». Peut-être à
entendre dans les deux sens du terme : étendue des fréquences et
apparitions !
Mais comme le signale Alexis Pelletier, dans un moment réflexif-narratif
du livre (mais tous les moments du livre et il faudrait ajouter du CD audio,
sont dans le même mouvement : celui du poème comme écoute, désir, pensée),
les références – fréquences de nos paroles-musiques et donc amplitude-registre
mais aussi apparitions, revenances – font les conditions ou plutôt les
« moyens » (Reverdy) de nos poèmes (en écriture comme en lecture). Mais
les références qui ne cessent de travailler le font aussi bien par mémoire que
par oubli, qui sont comme deux activités emmêlées, et voilà que l’amour vient
danser avec Hybris entre évidence et
mystère, entre exploration méthodique et perte de repères mais toujours
« l’amour ne craint aucun fantôme ». Alors, Alexis Pelletier cherche
un « nouveau corps amoureux » dans cet avec la musique de Dominique Lemaître (on se souvient de son
précédent livre 51 partitions de
Dominique Lemaître : j’en ai parlé ici : http://martinritman.blogspot.fr/2009/05/comment-le-poeme-met-la-narration-dans.html
) et le voilà sidéré – il écoute avec KSI
pour douze percussionnistes les étoiles d’une temporalité-spatialité inouïe –
même si l’écriture comme l’écoute est « une manière de se tenir » à côté en travaillant peut-être même
surtout avec « cette idée de l’inconnu toujours entre nous ». Ce qui
ne relève que de l’expérience et non de la représentation : aussi, avec
Alexis Pelletier, le poème s’oriente-t-il entièrement vers l’expérience
d’écoute et donc de pensée : celle de la nuit, par exemple – on pense bien
évidemment aux mystiques espagnols quand on lit « Nocturnal », cette
« prière de nuit » et sa « double solitude » que la pièce
musicale « suppose ». Aussi, la réflexion cosmique qu’inspire au
poète le musicien fait-elle jouer bien des hybridations qui toutes augmentent
la force des commencements et des fins, la force des vies. Le thème du silence où
s’entendrait certainement plus qu’un néant une puissance, au sens d’un
tremblement, lui fait écrire cet appel : « au lointain / les arbres
ou le désir ». Je passe sur la multiplication des références,
scientifiques, littéraires et musicales, qui augmentent le (et les) spectre(s)
de l’écriture d’Alexis Pelletier non pour obtenir un savoir, si ce n’est une
vérité de son rapport à la musique et à d’abord celle de Domnique Lemaître,
mais pour gagner ce que Rilke qu’il cite in
fine visait : « faire partie d’une mélodie » et donc « posséder
de plein droit une place déterminée au sein d’une vaste œuvre où le plus infime
vaut exactement le plus grand ». C’est exactement ce paradoxe que le livre
et le CD du poète et du musicien tiennent jusque dans notre écoute continuée
qui aimerait se tenir avec cette
mélodie ou, comme le suggérait Mallarmé, avec ce « petit air » et sa
« jubilation nue ».
Serge Martin, été 2014
NB: Alexis Pelletier publiera prochainement dans Résonance générale n° 7.
Alexis Pelletier (récitant), Nathalie Dumesnil et Bénédicte Prédali (sopranos), Mathieu Samani (saxophone)
Ensemble Artedie, Teresa Ida Blotta (direction)
Oberlin Percussion Group, Michael Rosen (direction)
André et Monique Sirois (guitares), François Veilhan (flûte), Vladimir Dubois (cor)
Ensemble Ars Nova et Ensemble Orchestral du Conservatoire de Gennevilliers, Philippe Nahon (direction)
Ensemble Artedie, Teresa Ida Blotta (direction)
Oberlin Percussion Group, Michael Rosen (direction)
André et Monique Sirois (guitares), François Veilhan (flûte), Vladimir Dubois (cor)
Ensemble Ars Nova et Ensemble Orchestral du Conservatoire de Gennevilliers, Philippe Nahon (direction)